Leonardo Garcia Alarcón orchestre un Requiem résolument non mortifère, et élagué de ses parties apocryphes. Un défi audacieux, relevé avec brio.
Au disque ou en concert, il est traditionnel de jumeler la dernière oeuvre concertante de Mozart avec son Requiem, l'ultime chef-d'oeuvre de son catalogue, ces deux pages n'étant entreprises qu'à quelques semaines de distance. Il est plus rare, en revanche, de les opposer dans deux interprétations allant à l'encontre de ce qu'on attend, offrant un détachement mélancolique pour le concerto, et un dynamisme jubilant pour le requiem ! Comme si le Concerto pour clarinette (K. 622) exhalait un adieu nostalgique à un genre longtemps fêté, et le Requiem (K. 626) saluait avec ferveur la promesse d'une vie future... On peut faire confiance au jeune chef argentin Leonardo Garcia Alarcón pour bousculer les usages établis, renverser et inverser les évidences trop vite admises. C'est pour le concerto que le pari était le moins risqué, en adoptant une copie de la clarinette de basset dont jouait Anton Stadler, ce virtuose viennois qu'admirait l'auteur de La Flûte enchantée, et à qui il réservait des joyaux — du concerto au quintette, en passant par des contre-chants solistes, dans La Clémence de Titus. Avec ses reflets mordorés évoquant les feuillages d'automne, le timbre vespéral de la clarinette de basset — un instrument disparu, au registre plus grave que celui de la clarinette moderne — entretient naturellement un vague à l'âme crépusculaire, un spleen intimiste d'entre chien et loup. Le soliste belge Benjamin Dieltjens en use magistralement dans l'adagio central, une méditation recueillie, épurée de tout épanchement extraverti — ce concerto est le seul des spécimens mozartiens à être dépourvu de cadences.
Pour le Requiem, que son inachèvement, au lendemain même de la mort de Mozart, livre à l'envie, aux spéculations et aux rafistolages, Leonardo Garcia Alarcón ne fait pas de quartier ; il supprime tout ce qui n'est pas signé de la main du compositeur — ou cosigné avec son élève Süssmayr. Sanctus, Benedictus, Agnus Dei disparaissent de l'Offertoire. Et, dans le concentré restant, le chef argentin dynamise l'élan des envolées chorales, renforce l'ardente pulsation des rythmes par le martèlement des percussions (vigoureuse Rosemary Toll). « La mort est une amie », confiait Wolfgang à son père, Leopold. Si elle est sentence et châtiment de la justice divine dans l'opéra Don Giovanni, elle n'est ici que pardon et espoir de vie éternelle. « Qui voudrait ajouter des bras à la Vénus de Milo ? » fait mine de s'interroger Leonardo Garcia Alarcón dans la préface de son enregistrement, pour justifier son refus de tout ajout apocryphe dans la partition de Mozart. Même amputé de ses compléments habituels, son Requiem n'est pas manchot. — Gilles Macassar, Télérama