Alceste, ou le triomphe d’Alcide
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Christophe Rousset, direction, clavecin
Judith Van Wanroij, Alceste, La Gloire
Edwin Crossley-Mercer, Alcide
Emiliano Gonzalez Toro, Admète, 2e Triton
Ambroisine Bré, Céphise, Nymphe des Tuileries, Proserpine
Douglas Williams, Lycomède, Charon
Étienne Bazola, Cléante, Straton, Pluton, Éole
Bénédicte Tauran, Nymphe de la Marne, Thétis, Diane,
Lucía Martín Cartón, Nymphe de la Seine, Une Nymphe, Une Ombre
Enguerrand de Hys, Lychas, Phérès, Alecton, Apollon, 1er Triton, Suivant de Pluton
Chœur de Chambre de Namur
Tout le monde croit connaître Alceste de Lully, et pourtant ce chef-d’œuvre de 1674 n’a pratiquement jamais été enregistré en son intégralité ; hormis la version de Malgoire de 1975 avec Bruce Brewer et Felicity Palmer, qui commence à dater, une deuxième du même Malgoire vingt ans plus tard avec Jean-Philippe Lafont et Colette Alliot-Lugaz, c’est le désert… On ne peut donc que saluer d’un grand coup de chapeau ce nouvel opus discographique des Talens lyriques de Christophe Rousset, une lecture des plus vivantes et pimpantes qui permet de découvrir tout ce que le génial et bouillant Florentin, devenu ô combien versaillais, courtisan et affairiste de surcroît, avait de novateur. Le roi Louis XIV, 36 ans et encore toutes ses dents, victorieux chef de guerre, ne pouvait que se sentir flatté par ce sujet signé Quinault : Alcide, qui convoite la belle Alceste (pourtant promise à Admète), n’est autre qu’Hercule en personne – Louis XIV se voyait bien en Hercule sauvant la belle Madame de Montespan de griffes de son mari. Certes, dans l’opéra, Admète/Hercule rend magnanimement Alceste, qu’il a sauvée des enfers, à son époux, alors que le pauvre Monsieur de Montespan finira sa carrière et sa vie exilé en Gascogne… L’honneur est sauf. Le roi-soleil fut enthousiasmé de l’œuvre, à tel point qu’il ordonna que les répétitions en fussent tenues à Versailles. Selon Madame de Sévigné, « Le roi a déclaré que s'il se trouvait à Paris au moment des représentations, il irait l’entendre tous les soirs ». Cela dit, si Alceste fit les délices de la cour, il n’en fut pas de même à Paris où les ennemis de Lully, jaloux des extravagants privilèges qu’il avait obtenus (l’exclusivité « de faire chanter aucune pièce entière en France, soit en vers françois ou autres langues, sans la permission par écrit dudit sieur Lully, à peine de dix mille livres d'amende, et de confiscation des théâtres, machines, décorations, habits… »), firent cabale sur cabale, tandis que le Mercure galant y allait de son couplet : Dieu ! Le bel opéra ! Rien de plus pitoyable ! Cerbère y vient japper d'un aboi lamentable ! Oh ! Quelle musique de chien ! Oh ! Quelle musique du diable ! La postérité en décidera autrement, et Rousset nous le prouve de manière éclatante.
Coup de maître né de la collaboration du compositeur Lully et de son librettiste Quinault, la tragédie en musique intitulée Alceste fit grand bruit au moment de sa création en 1674. Le registre tragique était réservé au théâtre, tandis que la musique se contentait de la veine comique. Mais grâce aux talents conjugués de Lully et Quinault, la scène de l’Académie royale de musique vit se développer le nouveau genre tragique et lyrique.
En plus du choeur, les neuf solistes, dirigés avec énergie et finesse par Christophe Rousset, campent ici des personnages aux passions plus vraies que nature. En effet, le livret repose sur un dilemme cornélien. Ce thème intemporel d’un amour contrarié émeut d’autant plus que la diction du texte est soignée et les affects qu’il véhicule incarnés avec justesse.
C’est une version de référence que Christophe Rousset et ses Talens Lyriques ont enregistrée. Une interprétation où théâtre et musique s’accordent avec une harmonie jubilatoire.
Enregistré à la Salle Gaveau à Paris, 2017, Juillet 13, 15 & 16
Total :
CD1 : 80’00
CD2 : 70’59