Sara Bino, Elke Janssens, Lucia Martin Carton, Mariana Moldao, Caroline Weynants: sopranos I
Laura Cartier, Marine Chaboud, Diana Gouglina, Florence Grasset, Maria Nunez de Fatima: sopranos II
Elena Pozhidaeva, Ariana Vafadari: altos
Jean-Sébastien Beauvais, Josquin Gest, Leandro Marziotte: counter-tenors
Eric François, Thibaut Lenaerts, Riccardo Pisani, Frederico Projecto, Jean-Yves Ravoux: tenors
Jean Delobel, Philippe Favette, Alejandro Gabor, Sergio Ladu, Jean-Marie Marchal, Tiago Mota: basses
Giulia Genini: bassoon
Maximilian Ehrhardt: harp
Pierre-Louis Retat: positive organ
Leonardo García Alarcón: direction
Mario Capuana (? - 1646/47)
Messa di defonti a quattro voci (1650)
Bonaventura Rubino (1600-1668)
Messa di morti a 5 concertata (1653)
Datés respectivement de 1650 et 1653 les Requiems de Capuana et Rubino sont apparemment les deux seules compositions de l'époque baroque réalisées en Sicile sur ces textes. Le premier est empreint de l'intense émotion du langage madrigalesque et le second est une véritable apothéose de la polyphonie de la Renaissance
Petits bouts d’éternité. Les Messes de Requiem de Mario Capuana & Bonaventura Rubino
Comme un antidote salutaire à la noirceur du monde dont nous avons pu être témoins ces derniers jours, la musique possède cette vertu de nous donner la force nécessaire pour continuer, pour résister. Et c’est une résonance particulière qui émane de ce disque que je m’étais promis de vous présenter aujourd’hui le jour de sa sortie chez Ricercar/Outhere. Si vous vous rappelez, le programme présenté ici fut donné au Festival de Namur 2014 et vous aviez pu alors lire à son encontre tout mon enthousiasme. Me réjouissant à l’époque de l’enregistrement à venir, ces deux Requiem siciliens, respectivement de Mario Capuana (? -1646/47) et Bonvaentura Rubino (1600-1668), sont enfin disponibles et peuvent être portés à la connaissance de tous.
Mario Capuana fait paraitre son Opera Quarta à titre posthume en 1650. Il y contient notamment cette Messa di defonti à quatre voix et basse continue qui ouvre l’album. Sur le frontispice du recueil, il est nommé « Maître de chapelle de l’Illustrissime Sénat et Dôme de la ville de Noto », Noto étant une ville sicilienne dans laquelle on retrouve la plupart des éléments biographiques connus sur sa personne. De santé précaire, il est à la tête de la chapelle musicale de la ville de 1633 à 1646/47 et meurt avant mai 1647. Sa production est conservée dans différentes bibliothèques d’Europe et c’est assurément un corpus de premier plan pour l’histoire musicale de la Sicile au XVIIe siècle. Entre polyphonie du XVIe siècle et concerto montéverdien, l’oeuvre toute méridionale de Capuana est riche et jouit de cette anecdote croustillante selon laquelle Friedrich Zelter, maître de Felix Mendelssohn, appréciait cette Messe de requiem au point de la truffer d’annotations encore visibles aujourd’hui à la Sing-Akademie de Berlin.
La vie de Bonaventura Rubino est plus documentée. Maître de la cathédrale de Palerme de 1643 à 1668, il est surtout connu pour avoir dirigé la célébration du Santissimo Stellario de la Vierge Marie en 1644 qui fut enregistrée par Gabriel Garrido (K617). Particulièrement impressionnante, la célébration nécessita douze choeurs répartis dans la Basilique SainFrançois d’Assise. De l’oeuvre de Rubino, sept recueils de musique sacrée nous sont
parvenus, édités entre 1645 et 1658. C’est l’Opera Quarta de 1653 qui nous intéresse car il contient la Messa di Morti a 5 concertata dont on ne sait dans quelle circonstance elle fut exécutée ni si elle fut exécutée tout simplement.
Le requiem de Rubino est encore ancré dans la grande tradition polyphonique du XVIe siècle, caractérisée par un flux continu des voix. Les madrigalismes - cette façon de peindre les mots en musique, de les rendre intelligibles - sont présents mais de manière subtile, à l’inverse du pathos de Capuana. Pour autant, à l’image de ce saut de quarte au cantus dès le début du Libera me, cette musique est composée au XVIIe et les moyens mis en oeuvre par Rubino sont éloquents : homophonie, duos, trios, imitation et petites sections monodiques sont autant de procédés bien établis dans ce nouveau siècle qui participent à cette vision apollinienne de la musique.
Quant à la Messa di defonti de Capuana, c’est peut-être à bien des égards la révélation de ce disque. Si Rubino est apollinien, Capuana est dionysiaque. Ecriture maniériste où rien n’est laissé au hasard, ce requiem est autant intéressant à l’ouïe qu’à la vue. Ainsi, il n’hésite pas tout au long de l’oeuvre à alterner entre binaire et ternaire et recourir à des dissonances bien marquées pour souligner le sens d’un mot. Friande de secondes mineures ou de chromatismes, l’oeuvre est un magma incessant d’audaces harmoniques qui prennent corps et unité dans la répétition de motifs distillés aux différentes sections.
Afin de rendre pleinement justice aux affects de ces deux oeuvres, Leonardo García Alarcón a fait un travail admirable à la tête du Choeur de Chambre de Namur, composé pour le coup de nouvelles têtes et d’un continuo sobre mais efficace. Mille couleurs de lumières parcourent l’enregistrement, tant dans les parties polyphoniques que solistes, avec cette sensation de former un son homogène et une cohésion où chaque voix a sa place. La quinzaine d’écoutes avant d’écrire ce billet m’a conforté un peu plus dans cette optique.
S’il ne fallait garder qu’un instant d’éternité dans ce formidable disque, je choisirais certainement le Pie Jesu de Capuana qui termine la Sequentia. Moment unique à la fois de tension et de délicatesse, la cadence sur la syllabe « Do » du mot Domine brille par la superposition de trois sons (mi bémol-fa-sol) qui, rejoint par la basse (la bémol), forment trois frottements conférant à la dissonance un sentiment d’irréel, d’évaporation, d’insaisissable. Une douceur cathartique qui redonne assurément foi en l’être humain. sprezzaturaeglosas.tumblr.com